Sécuriser l'évaluation des actions gratuites après la loi Macron

28/03/2016
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Le grand retour des actions gratuites ?

Oui, mais quelles méthodes de valorisation au regard du droit et de l’administration?

Dans une période où l’administration fiscale semble partie en guerre contre les management packages, ce nouveau régime fiscal et règlementaire offre aux entreprises un nouvel instrument de motivation et d’accès au capital pour leur employés et mandataires sociaux. Mais pour que les AGA restent avantageuses et sécurisées, il faut appliquer les bonnes méthodes de valorisation alors que le texte de loi dit « Loi Macron » est bien moins précis que son prédécesseur.

Ce nouveau dispositif ne s’applique qu’aux actions gratuites dont l’attribution a été autorisée postérieurement au 7 août 2015. L’article 135 de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques dite « loi Macron » a profondément modifié le régime juridique des attributions gratuites d’actions dans un sens nettement plus libéral, entre autres :

  • une durée d’acquisition et de conservation réduite chacune à 1 an, le cumul des 2 périodes ne pouvant être inférieur à 2 ans (par exemple 2 ans de période d’attribution sans période de conservation)
  • un taux de la contribution patronale ramené de 30% à 20%
  • une contribution salariale, pour sa part, purement et simplement supprimée
  • versement aux URSSAF de la contribution patronale au moment de l’acquisition définitive des actions et non plus le mois suivant l’attribution des actions alors que celles-ci pouvaient in fine n’être pas effectivement créées ou attribuées.

Mais le nouveau texte a aussi supprimé les règles d’évaluation des actions gratuites pour déterminer la base de calcul de la contribution patronale.

L’ancien texte (art.L.137-13 I alinéa 5 du code la sécurité sociale) était ainsi libellé :

« En cas d’attributions gratuites d’actions, cette contribution s’applique, au choix de l’employeur, sur une assiette égale soit à la juste valeur des actions telle qu’elle est estimée pour l’établissement des comptes consolidés pour les sociétés appliquant les normes comptables internationales adoptées par le règlement (CE) n°1606/2002 du Parlement européen et du Conseil du 19 juillet 2002 précité, soit à la valeur des actions à la date de la décision d’attribution par le conseil d’administration ou le directoire ».

Le nouveau texte (art.L.137-13 I alinéa 6 du CSS) est beaucoup plus lapidaire :

« En cas d’attributions d’actions gratuites, cette contribution s’applique sur la valeur, à leur date d’acquisition, des actions attribuées ».

On observera avec intérêt que l’ancienne rédaction (maintenue pour les options de souscriptions ou d’achat d’actions) offrait une alternative aux entreprises quant à la méthode d’évaluation –– et d’autant plus complète que l’administration, dans une circulaire DSS/5B 2008/119 du 8 avril 2008 avait admis que la méthode dite « de la juste valeur » était applicable à toutes les entreprises, peu important à cet égard qu’elles soient ou non soumises aux normes comptables internationales :

« Que l’entreprise soit ou non soumise au respect des normes comptables internationales, elle peut choisir d’asseoir la contribution patronale soit sur la juste valeur des options ou des actions telle qu’elle est estimée pour l’établissement des comptes consolidés pour les sociétés appliquant les normes internationales, soit, selon le cas, sur 25 % de la valeur des actions (attribution de stock-options) ou sur la valeur des actions (attribution gratuite d’actions) ».

 

Qu’en est-il désormais ?

On peut légitimement penser que le caractère lapidaire du nouveau texte laisse aujourd’hui beaucoup plus de latitude aux entreprises dès lors que le texte est très ouvert : s’il existait auparavant une alternative entre deux méthodes, on voit mal sur quel fondement l’entreprise aurait pu en choisir une troisième. Mais si la loi se borne à poser en principe que la valeur des actions gratuites servant de base au calcul de la contribution patronale est celle de « la valeur, à leur date d’acquisition, des actions attribuées », on peut légitimement penser que l’entreprise est libre de choisir sa méthode d’évaluation.

A l’appui de cette thèse, on rappellera que le législateur a défini d’autres méthodes de valorisation en matière d’actionnariat collectif, mais dans le code du travail et non dans le code la sécurité sociale. Il s’agit respectivement des articles L.3332-19 et L.3332-20 qui se trouvent dans le chapitre II « plan d’épargne d’entreprise » du titre III du Livre III de la troisième partie consacré à l’épargne salariale et qui semblent frappés du sceau du bon sens :

S’agissant de la valorisation des actions admises sur un marché règlementé, l’art.L.3332-19, al.3 prévoit que

« Lorsque les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, le prix de cession est fixé d'après les cours de bourse.

Le prix de souscription ne peut être supérieur à ce prix d'admission sur le marché ni, lorsqu'il s'agit de titres déjà cotés sur un marché réglementé, à la moyenne des cours cotés aux vingt séances de bourse précédant le jour de la décision fixant la date d'ouverture de la souscription… »

Si les titres ne sont pas cotés sur un marché règlementé, l’art.L.3332-20 dispose que :

« Lorsque les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé, le prix de cession est déterminé conformément aux méthodes objectives retenues en matière d'évaluation d'actions en tenant compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la situation nette comptable, de la rentabilité et des perspectives d'activité de l'entreprise. Ces critères sont appréciés, le cas échéant, sur une base consolidée ou, à défaut, en tenant compte des éléments financiers issus de filiales significatives.

A défaut, le prix de cession est déterminé en divisant par le nombre de titres existants le montant de l'actif net réévalué d'après le bilan le plus récent. Celui-ci est ainsi déterminé à chaque exercice sous le contrôle du commissaire aux comptes… ».

 

La circulaire ministérielle précitée (DSS/5B 2008/119 du 8 avril 2008) avait préconisé des méthodes qui n’étaient guère éloignées des principes fixés par le code du travail :

« 1. Options de souscription ou d’achat d’actions

Par analogie avec les règles applicables dans le cadre du régime fiscal des options de souscription ou d’achat d’actions, la valeur des actions est déterminée selon les modalités suivantes :

– pour les actions cotées, la valeur à retenir est celle du premier cours coté du jour où l’option est consentie. Toutefois, dans les cas exceptionnels où, du fait d’événements particuliers (par exemple fusion annoncée...),ce cours ne serait pas représentatif de la valeur vénale réelle de l’action, l’employeur sera admis à se baser sur une valeur différente, à charge pour lui de produire impérativement les éléments d’appréciation objectifs et vérifiables justifiant son évaluation ;

– pour les actions non cotées, la valeur des actions est déterminée soit selon la méthode multicritères, c’est-à-dire en tenant compte des caractéristiques propres de l’entreprise, de sa situation nette comptable, de sa rentabilité et de ses perspectives d’activité, soit selon celle de l’actif net réévalué, c’est-à-dire en divisant par le nombre de titres existants le montant de l’actif net réévalué, calculé d’après le bilan le plus récent.

 

2. Attribution gratuite d’actions

En cas d’attribution gratuite d’actions, l’employeur choisit d’asseoir la contribution :

– soit sur la juste valeur des actions …

– soit sur la valeur des actions à la date de la décision d’attribution par le conseil d’administration ou le directoire. Pour déterminer la valeur des actions, on retiendra les règles définies au paragraphe 1) ci-dessus pour les actions cotées et non cotées.

La date d’attribution des actions gratuites est celle à laquelle le conseil d’administration ou le directoire en désigne les bénéficiaires et le nombre auquel, au terme de la période d’acquisition d’une durée minimale en principe de deux ans, ils peuvent prétendre. ».

 

En définitive, l’entreprise aura le choix entre différentes méthodes pour la valorisation des AGA. Et si les circonstances le justifient, elle pourra faire appel à un expert indépendant, mais dans tous les cas, elle aura intérêt, pour prévenir toute contestation de la part de l’administration:

  • Choisir une des méthodes conforme aux recommandations de l’administration et s’y tenir au moins pendant un certain temps car là encore le législateur a simplifié le texte en supprimant l’obligation pour l’employeur de choisir la méthode d’évaluation pour la durée de l’exercice comptable de façon irrévocable ;
  • Justifier tout changement ultérieur de méthode ;
  • Appliquer la même méthode de valorisation si l’entreprise attribue des actions gratuites à ses cadres supérieurs et procède à une augmentation réservée aux adhérents du PEE qu’elle a institué ou cède des actions à son personnel adhérent au PEE à des dates proches ;
  • Formaliser la méthode choisie, même si les textes ne l’exigent pas, par exemple dans la décision d’attribution prise par le conseil d’administration ou le directoire et tenir compte du paragraphe 3 de la circulaire précitée qui conserve toute sa valeur :

 

« 3. Dispositions communes

L’employeur devra mettre à la disposition des agents chargés du contrôle prévu à l’article L. 243-7du code de la sécurité sociale tous les éléments pris en compte pour l’appréciation soit de la juste valeur des options ou des actions, soit de la valeur des actions cotées ou non cotées, et justifier ces éléments par tous moyens en sa possession (notamment rapport du commissaire aux comptes). ».

 

 

 

Gérard Kesztenbaum                                                   Zoé Constantin, CFA et Aymeric Stievenart

Avocat au Barreau de Paris                                          Crowe Horwath - Rsa Corporate Finance

 

 

 

 

 

 

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